Une expérience du temps : II. La villa Careggi

II. La villa Careggi

Publié le : 20 janvier 201726 mins de lecture

Apprendre, mais d’abord désapprendre, rompre avec les habitudes qui dressent des écrans protecteurs autour de nous pour emprunter des chemins qui n’ont pas de noms dans les guides touristiques et éprouver à plein, dans son corps même, les grandes œuvres qu’elles soient faites de mots ou d’images et qui sont notre mémoire.

A la rencontre de textes, de tableaux peu connus, de lieux insolites et de villes arpentées avec les élèves au cours des voyages d’études, Joseph Rossetto nous parle, dans cette série de textes, de l’école et de la transmission .

La route qui part de Florence vers Urbino traverse les Apennins. Le soleil est haut dans le ciel, c’est encore l’été, la chaleur tremble sur la Toscane. Envie de suivre des routes, de franchir des cols, désir de découvrir des villes, des dômes dorés, des fresques et les peintures de Piero della Francesca avec partout la terre et l’eau qui bouge doucement, les collines et les lacs qui fument à l’horizon, des nuages et des voiles argentées, des chants d’oiseaux, des haies parfumées et les saisons qui passent. Les images réveillent le souvenir lointain d’un premier voyage en Italie, bien avant d’y amener les élèves dans de belles aventures. _

Je quittais la route pour un village de montagne où le marché réunissait les paysans de la contrée. J’entrais dans l’unique auberge très animée à cette heure, écoutant les mots qui chantaient dans un brouhaha indescriptible. « C’est beau » avais- je le temps de penser en m’asseyant près d’une petite table restée inoccupée.

Le patron s’excusait de ne plus avoir grand-chose à me servir avant de m’apporter toutes sortes de jambons, de fromages et des fruits qui suffisaient amplement à ma faim. Mais mon attention était requise par la langue incompréhensible qui fusait de toute part de façon véhémente et dont les sonorités inconnues laissaient une impression d’étrangeté : cette musique, à la fois sa force, sa légèreté, c’était la terre Toscane avec ses paysages, ses artistes, une idée de l’être qui s’est faite à travers les siècles : les peintres et les poètes de Florence, d’Arezzo, de Borgo ont ouvert une fenêtre sur le monde, ils ont peint l’air comme le vent écrit sur l’eau du lac de Trasimène, comme la lumière ourle la pluie d’été.

Au centre de la pièce trônait un poste radio, allumé depuis longtemps, mais personne ne semblait y prêter attention ! Quelle musique tout autre ! Pourtant il ne s’agissait que de la cinquième symphonie de Beethoven dont les notes se mêlaient aux conversations, dans une sorte de jeu d’écho. Ce n’était pas simplement une symphonie mais un fleuve qui se déployait et m’emportait en son haut pays que j’imaginais d’essence supérieure.

Oui, je savais que je n’entendais pas seulement des sons, que je ne voyais pas seulement des images, mais que ce que je percevais m’appartenait sans partage, comme s’il n’y avait plus d’obstacle avec le monde visible, sensible.

Quand on voyage, on est enclin à rêver et parfois à atteindre cette plénitude de l’immédiat qui nous échappe habituellement, en repoussant l’impression que notre prise sur le monde est inaccomplie, imparfaite.

Et l’Italie nous amène à ce sentiment d’unité avec le monde : les œuvres des poètes et des artistes toscans ont « redonné à la vie les couleurs perdues des anciens soleils » pour reprendre les mots d’André Breton.

Homme, en somme

A Florence, durant des siècles, les artistes ont répété les enseignements de la religion, puis au début du XV° siècle, on s’est tourné à nouveau vers la civilisation grecque pour faire revenir au premier plan le regard sur l’homme et sur les choses de la nature, en ce qu’elles ont de plus ouvert à la vie.

C’est l’émergence d’une nouvelle conception de l’homme qui revient à l’honneur. La philosophie, l’étude du latin et du grec, le désir de repousser à l’infini les limites de la connaissance animent les débats du temps. _

Pic de la Mirandole écrit le plus parfait des poèmes à la louange de l’humanité : « O ! Adam, nous ne t’avons donné ni place déterminée ni physionomie propre, ni aucun don particulier, afin que la place, la physionomie, les dons que toi-même tu auras souhaités, tu les choisisses et les possèdes selon tes vœux, selon ta volonté. Nous t’avons installé au milieu du monde. nous ne t’avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, maître de toi-même, tu te composes la forme de ton choix. »

Quelques années plutôt, Marcile Ficin qui prit le relais du savant Georges Gémiste Pléthon à l’Académie Platonicienne de Careggi, avait déjà écrit ces quelques mots qui en d’autres temps l’auraient envoyé au bûcher : « L’homme ne veut personne au-dessus de lui et personne à côté de lui… Sa supériorité dans tous les domaines est semblable à celle de Dieu. Et comme Dieu, il prétend à l’immortalité. »

Il rejoint ainsi l’historien antique Térence qui affirmait : « Je suis homme et je pense que rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »

Voilà sur quoi repose les recherches des ingénieurs, des architectes, des peintres et des sculpteurs de cette époque. Ils vont confronter ces idées à la dure réalité de l’existence, souvent avec poésie et bonheur à l’image de Brunelleschi qui éleva la coupole de Santa Maria dei Fiori : « Et pour autant qu’il avait à montrer le ciel, c’est à dire pour que les murs peints s’impriment dans l’air, il se servit d’argent bruni de façon que l’air et les cieux naturels s’y reflètent, et de même les nuages que l’on voyait passer dans cet argent, poussés par le vent, quand il soufflait. » ( Manetti, vies de Philippo Brunelleschi.)

Ce que l’on appelle la Renaissance, c’est le moment où la conscience occidentale fait le plein : elle veut tout ramasser, tout embrasser, tout faire tenir ensemble, le païen et le chrétien, la morale et la non-morale, la force et la sensibilité, la science et la magie.

Les artistes fondent la notion d’art-science : l’art comme un savoir qui se perfectionne à l’infini et qui va changer le monde. Mais c’est le drame le jour où l’on s’aperçoit que ce n’est pas vrai, qu’il n’y a pas de progrès dans l’art, ni dans l’humanité malgré la technique et la science : Botticelli, Léonard de Vinci et Michel Ange vont vivre cette douloureuse expérience.

La question de la mémoire : transmettre non pour comprendre mais pour entailler

La question qui est évoquée ici n’est pas véritablement au programme du collège. L’étude de la Renaissance qui occupe quelques heures en fin d’année scolaire est habituellement événementielle et chronologique : les élèves retiennent au mieux que l’homme occupe tout à coup une place centrale dans l’univers comme l’indique le fameux dessin de Léonard de Vinci. Cela reste donc une leçon, suivie d’une évaluation et d’une note qui figurera sur le bulletin du troisième trimestre. Mais on sera passé à côté d’un enseignement essentiel.

Qu’est ce que ces moments de civilisation nous apprennent ? En quoi peuvent-ils aider des adolescents à grandir ? Comment l’étude de ces quelques années de la Renaissance peuvent accompagner des adolescents dans leurs propres interrogations ?

Je crois que ces périodes de cassures dans les civilisations correspondent aux failles de nos vies. Les quelques décennies de certitudes et d’absolus, l’étincellement dans lequel les hommes de la Renaissance ont tenté d’être, en se sachant dans un monde de finitude, ce sont aussi nos questionnements sur le sens de nos vies et nos fragiles espérances que nous traversons entre ciel et terre. Entre 1430 et 1480 dans une ville d’Italie, on a voulu, comme les Grecs que le monde soit possible dans la plénitude de l’immédiat, dans l’instant terrestre. On a même pensé que l’homme était infini, grâce à la beauté, à la technique et à la science, par lesquelles il est mesure de toute chose. Et puis on a compris que ce n’était pas vrai et qu’il fallait chercher ailleurs. Et nous verrons plus tard les réponses que donnent les artistes vénitiens à toutes ces questions.

Cette recherche dans la civilisation de la Renaissance qui dépasse le programme minimum des disciplines scolaires pourtant bien fourni, a renforcé le questionnement qui est au cœur de notre projet d’éducation : Une école de l’expérience où l’art et les cultures, la poésie introduisent les enfants dans un rapport à eux-mêmes et aux autres ; un enseignement qui permette aux disciplines scolaires de retrouver leur contenu de cultures de façon à ce que les enfants puissent réfléchir et s’exprimer sur les grands problèmes de l’existence. Cette école-là, c’est un cheminement où la transmission introduit chaque enfant dans la mémoire, la sienne et celle du monde par le biais de la création et de l’expérience. Nous transmettons des cultures, l’expérience des civilisations qui nous ont précédés en permettant aux enfants d’apporter leur invention et leur intelligence.

C’est une urgence d’enseigner par ces voies. Enseigner c’est transmettre une mémoire, des cultures, une identité  ; pas forcément une identité nationale, car les discours actuels sur ce sujet sont affligeants, mais une identité qui trouve du sens dans le cheminement des civilisations.

Quelle est la situation actuelle de la mémoire et de l’identité culturelle que revendiquent la plupart des pays européens ?

Nous sommes parvenus à un moment où les moyens techniques dépassent l’homme, nous ne sommes plus à la hauteur de ce que nous inventons. Cela ne s’était jamais produit auparavant. La folie humaine qui produit les armements de plus en plus poussés est responsable des massacres les plus sophistiqués dans l’indifférence ou le cynisme général. La planète se porte mal et étouffe. Et comme à la Renaissance, on pense que la science finira par résoudre durablement le destin de l’humanité. Devant tant de difficultés, confronté à la perte de repères, on parle beaucoup aujourd’hui d’identité culturelle, non pas dans le sens de la diversité, d’ouverture, d’enrichissement par ce tout qui est inconnu, mais dans un terrible repli sur soi. La France qui a le sentiment d’avoir été durant une longue période le centre du monde et qui a toujours tenu un discours généreux sur la diversité, les droits de l’homme et l’accueil de l’autre, expulse sans discernement.

Rien à voir avec l’époque de Cosme de Médicis ou de Pic de la Mirandole qui était plurielle, multicolore, ouverte ; c’est Pic qui a d’ailleurs tenté de réunir les savants du monde entier pour établir une sorte de constitution universelle. Alors pour essayer de retrouver une identité on crée des lois mémorielles, on invente des commémorations dont la lecture de la lettre de Guy Moquet est un exemple frappant. Nous sommes dans des modes de transmission artificiels.

Les dernières nouveautés de la planète ne sont pas là pour nous rassurer : Internet y fait mémoire de tout. Tout s’y est engouffré dans une immense confusion, ce qui envoie le monde contemporain dans une phase de recul. Il n’y a plus de référence à l’histoire, à la mémoire, telle que l’entendaient les Grecs anciens (la mnèmosunè), quand ils apprenaient par cœur les textes fondateurs et les tragédies.

Aujourd’hui, chacun exprime son identité sur le net. La mémoire n’est plus fondée sur l’identité humaine et sur la raison critique, sur la recherche d’un monde de valeurs mais sur soi-même. Chacun veut sa part de mémoire, son quart d’heure de célébrité à travers le numérique. Chacun trouve plaisir à se regarder, à se dire, mais refuse de regarder l’autre, l’étranger. Trop de mémoire individuelle tue l’histoire et l’expérience humaine.

Voilà pourquoi, l’histoire, la littérature, les sciences ont beaucoup à apprendre à chacun, non en tant qu’exercices de virtuosités disciplinaires, mais comme signes d’humanité. Je crois qu’il faut étudier l’art, ressusciter les lieux et les œuvres qui disparaissent des mémoires pour nous éclairer sur notre propre vie et sur les besoins qui font urgence aujourd’hui

Le ruisseau du Terzolle

Le travail que nous voulions faire avec deux classes de quatrième avait quelque chose d’initiatique, si on peut employer ce mot. Il s’agissait d’amener nos élèves dans une aventure où l’art et l’écriture – le travail sur les mots à travers l’écriture poétique et la recherche sur les œuvres de la renaissance- permettraient d’aborder les grands problèmes de l’existence. C’était étudier l’art en quelque sorte pour mieux se connaître soi-même. Et les artistes de la Renaissance ont une grande valeur en ce sens parce que leurs nouvelles visions du monde s’inscrivent dans leurs œuvres où l’on devine leurs propres expériences, leurs frustrations et même leurs angoisses qui ont finalement les mêmes racines que les nôtres. Il suffit de voir les derniers Botticelli si torturés et les derniers Michel Ange.

Comment aborder cette démarche pédagogique ?

Durant l’été qui précédait ce travail, j’ai senti le besoin de me rendre à Florence pour voir encore une fois la villa Careggi, la où vivait Cosme de Médicis, là où était né Laurent et où il était mort. L’Académie Platonicienne autour du savant Georges Gémiste Pléthon, puis de Marcile Ficin, d’Ange Politien et de Pic de La Mirandole y tenait ses séances.

La villa est occupée maintenant par l’administration d’un hôpital et ne figure sur aucun guide touristique, mais il est encore possible de la visiter.

La salle où se réunissait l’Académie est encore intacte, la table noire qui trône au centre porte jusque dans sa fragilité sa charge de mémoire. Une porte donne sur la chambre de Laurent de Médicis et sur son studiolo. C’est ici que des hommes ont rêvé d’un monde nouveau, à leur mesure et non plus à celle de Dieu. Inlassablement ils ont cherché à apprendre afin de « savoir pour vouloir et vouloir pour pouvoir ». _

Je connaissais bien le lieu, mais je voulais surtout retrouver les traces du ruisseau du Terzolle. Un poème de Laurent le Magnifique disait qu’il y jouait lorsqu’il était enfant. Il lui fallait franchir la porte du mur d’enceinte qui entourait la villa ; c’est tout près de ce mur que se trouvait le fameux jardin botanique. Botticelli y puisa son inspiration pour peindre les trois cents fleurs de La Primavera.

Le lieu n’avait pas tellement d’importance pour le projet, mais le retrouver, c’était pour moi comme revoir ma propre enfance, me réveiller à l’aube, sentir l’odeur de la menthe dans les ruisseaux, éprouver la fraîcheur du matin sur le corps.

C’était retrouver une musique. Et pour en préserver l’intensité, il fallait commencer par cet émerveillement-là. Nous devons puiser dans les mille leçons d’émerveillements que contiennent les hauts lieux, les civilisations et les grandes œuvres dont la force nous dépasse parfois. C’est ainsi que nous transmettrons des connaissances à des adolescents pour qu’ils se forgent une identité. J’entends par hauts-lieux ces points du monde où l’on peut penser qu’on pourrait, du fait des traditions, de la qualité d’un site ou du ciel, atteindre mieux qu’ailleurs au rapport à soi et introduire à des réflexions essentielles dans les apprentissages de la vie.

Après quelques heures de recherches, je retrouvais finalement un fragment du chemin qui descendait de la villa vers le ruisseau. Il y avait là un pan de mur crénelé avec la porte que Laurent le Magnifique ouvrait pour aller jouer dans le petit ruisseau du Terzolle. L’eau chantait encore au milieu de fleurs sauvages. Cependant l’endroit était définitivement ruiné : il était envahi d’architectures métalliques et de garages en construction. Le mur lui-même était entouré de gravats parmi lesquels il allait bientôt s’écrouler.

Les fleurs de la Primavera

Les artistes de la Renaissance ont produit des architectures et des œuvres qui sont issues d’une pensée essentiellement symbolique. Les historiens d’art se contentent habituellement d’une lecture spécialisée et parcellaire des œuvres ; pour analyser le Printemps de Botticelli, il faut à la fois être historien, connaître les textes antiques, la littérature de la Rernaissance, la philosophie néoplatonicienne et être botaniste. Nous avons effectivement abordé la philosophie de la Renaissance et plus particulièrement la théorie de l’amour qui la sous-tend par l’étude des trois cents fleurs et de leur symbolique dans le célèbre tableau de Botticelli, la Primavera.

Cette approche s’est avérée complémentaire aux recherches que nous avons effectuées dans un premier temps sur les personnages représentés par le peintre. Poser des noms et prendre connaissance de la mythologie gréco-latine sont une étape nécessaire pour situer Zéphyr, Chlore, Flore, Vénus, Cupidon, les trois Grâces et Mercure. Les informations recensées constituent des acquis culturels indispensables pour entrer dans le tableau.

Nous avons lié ces recherches littéraires à la lecture d’extraits des Métamorphoses d’Ovide.

D’une question fort simple : « Quels liens unissent les différents personnages ? » Nous avons pu approfondir notre regard et pénétrer le secret de l’œuvre. En effet, la cohérence de la démarche se trouve dans l’unité de notre vision du Printemps et non dans une accumulation de savoirs mis les uns à côté des autres. Les fleurs, par leur multiplicité et leur diversité, ont éveillé notre attention : leur présence visible confère leur importance. Pour ne donner qu’un exemple, ce sont elles qui font comprendre la métamorphose de Chlore en Flore ; les deux corps ne forment qu’une seule chair unie par les fleurs ombilicales qui s’échappent de la bouche de Chlore. Ainsi, l’évidence est donnée : les fleurs sont le lien essentiel qui unit les personnages, la cohérence du tableau. A nous maintenant de les faire éclore ! Nous avons approfondi notre réflexion en nous attachant spécifiquement à la reconnaissance des fleurs, aux sens cachés qu’elles dévoilent et qui révèlent le sens du tableau : le chemin qui mène aux secrets et aux mystères de l’oeuvre apparaît à l’horizon, nous l’empruntons. _

Cette promenade au cœur des parfums, des couleurs, des jardins nous entraîne dans un voyage à travers le temps : les portes de l’Antiquité s’ouvrent et nous puisons dans cette source infinie les éléments qui ont nourri la pensée des philosophes de la Renaissance. Ce va-et-vient dans l’histoire a permis la découverte et la lecture des textes de Platon extraits de Phèdre et du Banquet qui ont éclairé notre compréhension et enrichi notre interprétation.

[Voir dans les archives du site, le corpus de textes et les documents utilisés pour l’interprétation de l’œuvre ainsi que les résultats de cette étude. Ce travail a été réalisé avec Céline Baliki et Carole Baliki. Marie- Lyne Mahiet en a fait un CDROM, Le jardin éternel, un livre du même nom est sorti aux éditions Poésis. Philippe Troyon a réalisé un film  » Le balcon de la vie ». Ces documents sont disponibles sur demande.]

La fiction : les fleurs du désir

Nous voulions partir d’une fiction pour amener les élèves dans une histoire, une aventure. L’imagination a un pouvoir productif. Elle situe dans la réalité et la transforme. Fictio (ce que nous mettons en fiction) a la même racine que facere : faire. D’où son analogie avec l’expérience. La fiction, si elle met en jeu l’imaginaire, produit une réalité sensorielle descriptive où les héros apprennent à exister grâce à leur sens. La fiction est aussi l’occasion d’un questionnement sur l’histoire, sur les recherches des philosophes et des artistes qui ont permis un renversement de sens dans la civilisation occidentale.

La fiction nous conduit bien sûr à Florence, lieu du voyage d’étude et s’articule sur trois temps dans la ville :

La découverte d’une ombre magique qui n’apparaît que quelques secondes sur un mur, au soleil couchant, via San Leonardo et qui dessine un mystérieux portail ressemblant étrangement à celui qui ouvre sur le jardin de la villa Careggi.

 La chapelle des Mages qui permit d’aborder l’aventure des Médicis à travers la symbolique des fresques.

 La villa Careggi. Les élèves ont pu investir la villa deux journées entières. Ils ont écrit et filmé dans les lieux même où se déroule l’action, imaginé et dessiné le jardin botanique, découvert le ruisseau du Terzolle…

Nous avons imaginé un récit qui raconte la quête d’une jeune femme écrivain, Flora et celle d’un botaniste Orphée : Flora trouve dans le grenier de sa maison via San Léonardo, des carnets que son père instituteur avait écrits et reliés en vue d’une publication qu’il ne fit jamais. Leur lecture révèle l’existence de trois fleurs dont les essences réunies créent un parfum au pouvoir mystérieux agissant sur les hommes. Ces trois fleurs se trouvent dans la fresque de la chapelle des mages, dans le Printemps de Botticelli, et dans les vestiges du jardin botanique de la villa Careggi. Flora fait appel à un botaniste connu qui habite Paris. ils se rencontrent au jardin Albert Khan puis se rendent séparément à Florence pour commencer leur recherche…

Le balcon de la vie

Je voudrais revenir à mon premier voyage en Italie, au moment où je quittais le village de montagne.

La route laisse Florence et la Toscane puis franchit un col et serpente vers les Marches, vers Urbino. Au sommet du col, il y a une porte bleue, de l’autre coté de cette porte on descend vers les villes merveilleuses, parmi les cyprès et les collines argentées, vers les palais des princes et des poètes, vers les jardins magiques. Cette route porte le nom de « Balcon de la vie », c’est le balcon d’où on voit mieux le monde.

Le balcon de la vie ! Quel saisissement !

On s’emploie alors à rêver qu’en ce pays, les œuvres atteignent les sommets, que les langues ont des structures supérieures, qu’elles se sont constituées dans le temps en un réseau de polysémie, de même que l’organisation des villes, selon des coutumes, des rêves, des désirs, des repères… _

Et puis en cheminant et en cherchant les élèves découvrent, les œuvres et les civilisations. Les événements, les sentiments et les devenirs qu’ils imaginent ou ressentent, ils les écrivent. C’est ainsi qu’ils les réinventent au fur et à mesure, à leur façon, selon leur projet. Je crois que c’est la plus juste définition de la transmission : les cultures et les langues existent pour autant que les élèves peuvent y mettre ce qu’ils sont eux-mêmes, leur propre rêve.

Plan du site