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Publié le : 18 novembre 201610 mins de lecture

Jusqu’aux rives du monde. Tel est le titre du livre de Joseph Rossetto qui accompagne le DVD Quelle classe, ma classe !, documentaire de Philippe Troyon. Derrière ces titres et ces noms, se révèlent des expériences humaines étonnantes et stimulantes, impulsées par des professionnels remarquables. Joseph Rossetto a participé au dernier colloque de l’AGSAS ; il est venu parler de son expérience dans un collège de Bobigny et montrer des extraits du film. Comment dire l’effet de cette présentation, la force des images où l’on découvre des jeunes collégiens prenant la parole avec une justesse rare, se mouvant dans leur corps avec grâce, des jeunes qui semblent à leur place dans une école où le respect est partagé entre élèves et professeurs. J’ai été particulièrement touchée par la beauté de la présence de ces jeunes à l’écran, par leurs paroles, par la pertinence d’une expérience riche et profondément nourrie aux sources de la culture et soutenue par une véritable exigence artistique. J’ai aussitôt acheté le livre et le DVD et suis retournée dans ma province avec la conviction de détenir un trésor. Oui, c’est un véritable trésor, et depuis, je n’ai pas manqué l’occasion de partager un peu de ce trésor autour de moi, convaincue que la force et le dynamisme que j’y avais trouvés auront le même impact sur d’autres. En ces temps de chaos et de découragement profond dans le monde de l’éducation comme ailleurs, savoir que de telles expériences ont eu lieu, ont été possibles, redonne du courage et ranime la possibilité de penser.

Le documentaire Quelle classe, ma classe, s’ouvre sur un accueil. Les élèves de 6ème du collège Pierre Sémard à Bobigny sont accueillis – au sens le plus noble du terme – par leur principal Joseph Rossetto : chaque enfant est le bienvenu et doit trouver sa place à l’école ; puis les parents sont invités à écouter des paroles chaleureuses et des explications sur le travail qui va se faire avec leurs enfants, en collaboration avec eux. Le principal explique que la difficulté de l’école tient au fait qu’elle est essentiellement fondée sur le travail écrit tandis que le langage des jeunes en est souvent éloigné. Les enseignants vont leur faire découvrir que le langage, ce bien commun, est une nécessité absolue. Ils vont faire en sorte que les enfants aient envie d’écrire – de la poésie en particulier. Ils vont les emmener voyager pour découvrir le monde et les savoirs transmis par d’autres cultures afin que ces jeunes futurs citoyens puissent avoir envie d’agir sur le monde. Ce premier chapitre est à lui seul une leçon de vie scolaire !

Le reste du film donne à voir la préparation et l’accomplissement des projets qui vont tisser avec art la langue, le corps, la culture, les voyages – et quels voyages ! – pour aboutir à un spectacle de qualité conçu à partir de l’invention par les élèves d’une odyssée moderne. En voyant l’ampleur et la qualité de ce qui a été accompli, on se demande quelles ficelles ce principal a trouvées pour se lancer dans ces réalisations avec son équipe. Il en explique le point de départ : réinventer l’école est chose possible, dit-il, une circulaire (l’article 34 de la loi d’orientation sur l’avenir de l’école) invite les établissements à innover en leur donnant un droit à l’expérimentation. Peut-être doit-on réécrire cette phrase au passé avec les actuelles orientations sans avenir de l’école… Toujours est-il que ces projets ont existé et on peut y puiser de quoi penser, rêver, imaginer, se réjouir, s’émouvoir, s’étonner encore et toujours des formidables ressources de ces adolescents qui sortent grandis de leurs années de collège. Le film nous les montre en travail dans diverses configurations, car l’organisation du temps scolaire a été modifiée, le morcellement horaire renversé, les méthodes de travail renouvelées. Ils lisent les grandes œuvres littéraires, écrivent, dansent, font du théâtre. Ils parlent. Ils voyagent : des voyages d’étude qui s’étalent sur le temps d’une année scolaire. « Ils commencent par l’écriture poétique ou par l’écriture de fictions qui est comme point de départ, des récits ou la présence magnifique d’œuvres, la recherche de mythes, de cultures disparues, l’écriture de souvenirs d’enfance qui font repères ou encore l’écriture incarnée dans la danse contemporaine, la poésie. »

Et au bout du voyage, il y a cette création théâtrale – Odysseus – et sa présentation à la Maison de la Culture de Bobigny devant 400 personnes. La pièce est visible sur le DVD, en marge du film, ainsi que d’autres petits films touchant à ces projets et à leur réalisation. On y voit en particulier d’anciens élèves qui témoignent de ce qu’ils ont découvert dans ces années de collège.

Au-delà de ce qui se donne à voir dans un documentaire d’une grande qualité artistique, la pensée qui sous-tend ces entreprises transparait en filigrane dans le film, mais elle s’exprime dans le livre Jusqu’aux rives du monde avec une écriture qui est elle-même invitation au voyage intérieur.

Joseph Rossetto y fait l’éloge de la culture et de la littérature pour servir l’enseignement. »Quand le présent se détache du passé et de la mémoire, c’est une sorte d’oubli, de censure de soi, profondément destructrice. Chacun doit connaître à la fois l’Iliade et l’Odyssée, les tragédies grecques, les récits arabes, les peintures de Titien ou du Caravage, les romans de Dostoïevski, les poésies de Rimbaud, la danse et le théâtre contemporain… Les ignorer et les laisser mourir, c’est comme détruire le Parthénon. Cependant ce n’est pas cette mémoire que nous considérons comme sacrée mais les valeurs qu’elle nous enseigne. Ce n’est pas la culture et les œuvres humaines qui garantissent la continuité du monde mais la façon dont nous pouvons en vivre les expériences pour que le monde y transparaisse avec un peu plus de cohérence. » L’auteur souligne l’importance des livres et de la bibliothèque comme espace intime et ouverture aux rencontres. L’école est un lieu d’une éthique de la parole, d’une attention à une parole tournée vers l’autre, dans une reconnaissance de son identité et de sa différence. La relation y est essentielle. C’est aussi une école de l’expérience, c’est « en quelque sorte un voyage où les élèves se laissent aborder par quelque chose qu’ils n’attendent pas et qui peut changer le cours de leur existence ». L’imagination et la création sont associées aux apprentissages : « Les enfants sont riches de ces connaissances intérieures qui sont leur singularité et leur identité mais que l’école ignore. On peut faire l’hypothèse que les savoirs extérieurs, ceux de l’école, seront bien intériorisés et prendront véritablement sens pour les élèves s’ils peuvent, d’une façon ou d’une autre, rencontrer leurs savoirs imaginaires. » Un travail sur le lien est valorisé, un lien vivant avec le passé, la mémoire, les grandes œuvres du patrimoine humain, mais aussi avec soi-même, son corps, sa langue et les autres, avec sa langue intime et la langue commune. Mais il y a aussi quelques voix off dans ce que Joseph Rossetto et l’équipe d’enseignants ont créé.

Il y a Philippe Lacadée, psychanalyste qui intervient mensuellement pour travailler leurs difficultés avec les professeurs et apporter son éclairage sur l’adolescence.

Il y a Philippe Troyon, qui fait part de sa position particulière de « filmeur à l’école « , et pense son métier comme de celui d’un « sculpteur ou d’un peintre qui observe et touche la matière humaine avec délicatesse, qui observe les liens de l’humanité avec acuité ou d’un explorateur qui découvre des terres nouvelles ».

Il y a Cécile Baliki, enseignante de français qui soutient des projets où les mots et le corps sont intimement liés ; elle les considère « comme expression d’une intériorité, d’un imaginaire qui emmène au plus près et au plus loin de soi ».

Et puis, il y a la présence des adolescents à travers leurs poèmes comme celui d’Iliesse : « Pendant que je courais en regardant l’horizon, j’oubliais qui j’étais je me sentais comme une page blanche qui veut qu’on lui écrive dessus pour qu’on puisse enfin penser à quelque chose. »

Il y beaucoup d’artistes dans le livre de Joseph Rossetto comme dans les films de Philippe Troyon, du beau monde qui nous invite au voyage : « Le voyage, c’est ce balcon de la vie d’où l’on peut voir le monde. Balcon ouvert à l’expérience, à la curiosité, aux rencontres, aux espaces et aux paysages inclinés par le souvenir de chaque chose que le monde a déposée depuis longtemps. »

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