Cellulogrammes, une pédagogie de l’image Cellulogrammes

Cellulogrammes

Publié le : 18 novembre 20166 mins de lecture

La relation à l’autre

Travailler avec des élèves de 8 à 16 ans sur le sens des images, m’amène d’abord à travailler sur le sens des mots. Lorsque je rentre dans une classe ou un atelier je commence par former une sorte d’agora avec les tables et les chaises, pour entrer en relation, en conversation avec eux. Sur n’importe quel sujet. Celui qui vient ou plutôt celui qui les préoccupe là immédiatement. Ça nous détend. Je pense qu’avant de travailler sur les images, il faut en passer par un état, l’état de son corps, casser la rigidité d’une posture dans laquelle se trouve souvent l’élève. C’est comme dans le théâtre ou la danse, il faut détendre le corps et l’esprit avant de travailler. L’image c’est pareil ! elle nous envahit tellement !.

Gilles Deleuze disait à ses étudiants qu’il ne donne pas de cours de cinéma mais un cours de philosophie. Chaque oeuvre cinématographique est une pédagogie de l’image, nous apprend à voir, à devenir voyant devant le « trop beau, le trop injuste ». Qu’enfin disait-il , qu’être révolutionnaire c’est apprendre à voir, et que devenir visionnaire, est l’oeuvre du poète. Marie-Joséée Mondzain déclare lors d’un colloque « Voir Ensemble », « apprendre à voir, c’est apprendre à parler ». On en revient toujours à la langue et aux mots.

La langue de mots abritée dans une partie de notre cerveau, trouve un chemin vers l’imaginaire et la créativité. Nous produisons des images dans notre cerveau, nous recevons des images par les yeux. Souvent les mots créent de l’image. Mais cette image n’existerait pas ou ne serait pas communicable si elle n’était pas reproduite vers l’extérieur sur un support (écran) . Alors que les mots se projettent au dehors par l’oralité sans aucun support. [L’image ne relève pas tant d’une vérité que d’une croyance.]

Sur ces bases là, m’est venu l’idée de créer les « cellulogrammes » qui est une contraction du mot « cellulaire » et du mot « calligrammes ». L’un et l’autre relevant du langage scientifique et poétique. J’ai donc proposé aux enseignants, de travailler avec un usage quotidien, quasi permanent de l’élève : le téléphone portable. Comme un carnet d’images-mots. C’est avec cet instrument personnel que je vais parler d’images, de sons, d’écritures, de cinéma, de peinture, de photographies. C’est avec leur téléphone portable que je vais demander à chaque élève de fabriquer un petit poème filmé, en un plan séquence sans montage, d’une minute, un concentré de vie et un jaillissement d’un moment de réalité. C’est un geste documentaire, un geste poétique qui mobilise le regard, l’écoute, l’agilité. Par la poésie, l’enfant peut exprimer sans contrainte sémantique ou structurale du langage ce qu’il y a en lui de plus profond à un moment de sa vie. Il est libre de mettre les mots, les verbes où il veut, et de cette forme orale, parfois écrite (car il y a aussi l’image des mots) arrive un sens caché de sa propre existence. [Je suis aidé dans cette démarche par une poète, Ariane Dreyfus, qui met des mots sur des images pixellisés ou des pixels sur des écrits poétiques.]

Le sentiment et l’autre :Autoportraits

Je peux intervenir dans l’intime de chaque élève, dans sa gestuelle, dans ses pulsions, dans ses peurs, dans ses désirs, dans ce qu’il croit être le lien préservé et privilégié avec l’autre. Je parle du réel, de la vérité, de la chance, du hasard, de la croyance. Je parle aussi d’amour, de beauté, de haine, de vie, de mort, des cultures. Deux thématiques ont été ainsi proposées : le sentiment et l’autre et autoportraits.

Ce projet pédagogique est une approche esthétique et éthique de l’image. Je n’utilise pas ce téléphone dans sa fonction de surveillance, d’obscène « capteur-cafteur » d’images monnayables. Je travaille sur le flux permanents des images qu’on voit sur les moteurs de recherche de nos ordinateurs et aussi sur la mise en scène des happy slapping. J’aborde les notions de droits à l’image, d’ethnologie et d’anthropologie avec des juristes, des scientifiques.

On filme sans doute tout et trop. Je ne veux pas lutter contre un usage, mais l’accompagner en donnant du sens à cette utilisation. On le sait, bientôt le monde virtuel sera plus grand que le monde réel. Nous vivons dans l’accumulation des images à ne plus savoir qu’en faire. Mais les mots, l’écriture avait fait peur aussi lorsqu’elle est apparue. Il en est de même pour l’image qui trouvera sa propre régulation grâce notamment à la pédagogie de l’image.

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