Apporter du nouveau… par Philippe Lacadée

enfant consommateur,

Publié le : 17 novembre 20167 mins de lecture

Les livres romans récents de Théodora Dimova : Mères[2] , de Juli Zeh : La fille sans qualités (pulsion de jeu)[3] , et Catherine Henri Un professeur sentimental, et Libres cours, de Carole diamant Ecole terrain miné, de Jeanne Benameur : Présent ?, montrent l’importance du lien que les adolescents créent avec leurs professeurs qui parfois vont de la peur scolaire jusqu’au drame.

En 2010 la réponse à la question ne se pose plus dans les mêmes termes qu’en 1914, lorsque Freud écrivait que « le comportement de l’enfant » dépend de ce qui s’est passé dans « la chambre de l’enfant » tout en précisant que ce n’est pas pour autant « qu’il doit en être excusé. » En effet l’autorité parentale dont doit logiquement se détacher l’adolescent et le savoir que doit lui transmettre le père ou son substitut le professeur ne sont plus à la même place. Ceci entraîne des modalités de réponses différentes et des conséquences inédites sur la formation des phobies scolaires comme nouveaux symptômes. Ainsi le refus scolaire ou la mise en place de pratiques de ruptures mettent en échec la fonction « de point d’appui » du professeur. Nous rencontrons aussi une façon particulière de se situer dans le langage qui ne fait plus autorité comme avant. Cela explique les provocations langagières, les insultes, les comportements irrespectueux ou violents liés à ce que nous nommons avec Catherine Henri « la précarité langagière. » [4] « L’insolence n’est qu’une couverture »[5] . Elle contient une question essentielle qui attend sa réponse, une vraie réponse. Tel est l’enjeu de la conversation avec des professeurs des laboratoires du Cien , depuis 1996. [6]

Le vrai besoin spontané des enfants est d’apprendre disait Hegel, de recevoir un savoir et une culture qui puisse les aider à prendre une distance face aux sensations immédiates qui parfois les conduisent à des impasses, ou des comportements irresponsables. Mais aujourd’hui l’enfant est devenu de plus en plus un enfant instrumentalisé, un enfant client, un enfant consommateur qui accède très vite à la notion de propriété privé.[7] D’où la question comment cet enfant moderne se débrouille-t-il de cette en trop de consommation qui lui empêche l’accès au savoir, faute de ne plus se soutenir de son désir ? Il se soutient tout seul de son rapport à l’objet.

Les désirs de l’enfant sont tellement sollicités qu’ils se sont transformés en besoins,en impératif de jouissance qui répond à la gourmandise de son surmoi, sans qu’il apprenne ou sache demander à l’Autre. Il ne peut plus d’ailleurs nommer ce qu’il désire. Il veut tout et tout de suite comme s’il savait directement ce qu’il voulait. Le monde de la consommation anticipe les désirs de l’enfant, qui se sont transformés en besoin de satisfaction immédiate, pour jouir de ces objets plus-de-jouir qui ne cessent d’être produits pour l’enfant client. Un vouloir jouir est venu s’installer à la place d’un désir du savoir. Il est devenu un consommateur autonome qui s’auto-nomme du nom de son objet. Les adultes n’y peuvent pas ou plus grand chose. « Il y a là une telle confusion qu’aimer son enfant a été remplacé par aimer ses désirs qui en fait sont des besoins de satisfaction, lesquels s’expriment comme des besoins vitaux. Pour l’enfant les preuves de l’amour passent l’achat de ses objets. »[8] Ainsi l’enfant se trouve réduit au silence de l’objet, qui vient complémenter son être d’objet et où règne l’absence du désir de l’Autre, là où Freud situait la présence du complexe du Nebenmesch , soit le complexe du prochain où Lacan situa très tôt la dimension éthique de la rencontre avec l’Autre.

L’époque actuelle a donc imposé son langage de « la modernité ironique », celui où l’objet de consommation est devenu plus important que l’idéal de transmission de certaines valeurs symboliques. Notre hypothèse est que ce langage uniforme et standardisé est en train de modifier l’usage de la parole et l’adresse à l’Autre.

Le professeur se trouve donc dans un face à face inédit avec l’enfant client, l’enfant consommateur, l’enfant qui est habitué à se satisfaire de ses sensations immédiates en se branchant sur l’Autre de la machine, sur sa console, son portable ou sa game-boy. Il est donc plus habitué à satisfaire ses besoins immédiats en consommant l’objet et ne sait plus rencontrer un Autre porteur d’un désir de l’instruire et qui nécessite une perte de sa position de jouissance immédiate et un consentement à la présence d’un Autre vecteur d’une médiation humaine. L’enfant ne sait plus comment faire avec ce manque, ainsi introduit faute d’avoir su y faire avec le sien. L’Autre qui veut lui apprendre, l’Autre qui se montre exigeant et désirant quelque chose de l’enfant au mieux l’inquiète, au pire lui fait peur. Nous avons là la source de nombreuses phobies dites scolaires ou de refus de l’école.

L’époque a changé par rapport à celle de Victor Hugo où il nous disait que le droit de l’enfant, c’est d’être un homme, et ce qui fait un homme c’est la lumière c’est l’instruction . [9]Aujourd’hui la société marchande et de consommation a fait de l’enfant client, un enfant instrumentalisé par les objets de consommation qui de fait le consomme plus qu’il ne les consomme. L’enfant est devenu un client à part entière, directement branché sur son objet qui ne lui parle pas, qui ne lui demande rien, ce qui met à mal l’enfant à parents tiers, là où les parents ou leurs substituts que sont les professeurs pouvaient entrer en fonction comme tiers doués du don de la parole, par rapport à ce que vit l’enfant dans son corps ou dans sa pensée.

L’enfant moderne ne loge plus la vérité « dans son âme et son corps », mais plutôt loge-t-il sa vérité comme sœur de jouissance dans l’objet qui lui ne lui parle pas, mais qui jouit de lui et du coup quand l’être humain lui parle et veut lui dire le savoir que lui-même a tiré de sa propre existence , il prend peur.

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